Le 7 mars 2019, Ebrahim Raïssi, candidat conservateur à l’élection présidentielle de 2017 a été nommé par l’ayatollah Ali Khamenei à la tête du pouvoir judiciaire iranien. M. Raïssi prend ainsi la suite de Sadegh Larijani. Lors de sa nomination, l’ayatollah Khamenei avait insisté sur l’importance de mener une profonde politique de réformes du système judiciaire en luttant davantage contre la corruption au sein même du pouvoir judiciaire.
Pour un pays frappé par une crise économique, la corruption est un facteur aggravant d’une situation économique fragile dans un contexte de renouvellement (8 mai 2018) des sanctions économiques par les États-Unis. Depuis maintenant plusieurs années les affaires de corruption d’anciens ou d’actuels hauts fonctionnaires (et des membres de leurs familles) se sont multipliées (comme l’affaire Fereydoun) devenant l’un des principaux motifs du mécontentement croissant des Iraniens largement responsable des manifestations auxquelles on assiste aujourd’hui.
Il est également nécessaire de décrire l’effet retors des sanctions économiques sur l’écosystème économique iranien. Depuis la sortie des États-Unis de l’accord de 2015 , la stratégie de « pression maximale » de l’administration américaine sur Téhéran rend impossible toutes volontés de réformes économiques. Les Iraniens étant investis dans une logique de « guerre économique » tolèrent certaines actions économiques illégales qui permettraient de contourner les sanctions mais pas celles qui ne sont pas utiles à l’intérêt général.
Toutefois, le lancement de nombreuses procédures judiciaires montre que le nouveau président du pouvoir judiciaire1Le Président du pourvoir judiciaire est le responsable du système judiciaire iranien et de son administration et de sa supervision. Le Président du pouvoir judiciaire doit être un « homme honorable » selon l’article 157 de la Constitution de la République islamique d’Iran. Il est également le plus haut juge de la Cour suprême d’Iran. a choisi de faire de la lutte contre la corruption des hauts responsables du régime l’une de ses priorités. Le tableau ci-dessous illustre les différentes poursuites judiciaires initiées contre des hauts fonctionnaires de tous bords politiques.
Date du dossier | Sujet | Proche de.s | Accusations | Situation actuelle | Verdict |
14 juillet 2019 | Akbar Tabari | Sadegh Larijani | Financières et trafic d’influence | Investigations | – |
1 octobre 2019 | Bijan Ghassem-Zadeh | Conservateurs | Financières | Investigations | – |
30 décembre 2013 | Babak Zanjani | Ahmadinejad | Financières – Trafic de pétrole | En cours d’exécution | Peine de mort |
Août 2019 | Hossein Rayat | Ahmadinejad | Financières | Investigations | – |
Décembre 2016 | Alireza Ziba-Halat Monfared | Zanjani | Financières | En appel | – |
29 juillet 2018 | Shahram Jazayeri | – | Pas rendu officiel | En appel | – |
6 octobre 2017 | Mehdi Jahangiri | Vice-président de la République | Financières en lien avec la banque du tourisme | Début du procès | – |
3 septembre 2017 | Issa Sharifi | Ancien maire de Téhéran | Financières | Au tribunal | – |
16 juillet 2017 | Hossein Fereydoun | Président de la République | Financières | Fin du procès | 5 ans de prison et une amende de 31 milliards de tomans |
5 août 2018 | Ahmad Araghchi | Zarif | Perturbation du système économique du pays | Début de procès | – |
Juin 2018 |
Hossein Hedayati |
– |
Perturbation du système financier et bancaire |
Fin du procès |
20 ans de prison, privé de fonction publique, 74 coups de fouet |
Mai 2019
|
Les frères Rikht-e Garan | Ancien maire de Téhéran | Perturbation du système économique | Fin du procès | 42 ans de prison |
8 septembre 2019 | Shabnam Nemat-Zadeh | Réformateurs | Perturbation du système économique du pays | Au tribunal | – |
Mai 2019 | Hadi Razavi | Réformateurs | Perturbation du système économique du pays | Fin du procès | 20 ans de prison, privé de fonction publique, 74 coups de fouet |
2019 | Arrestation du député de Zanjan | – | Perturbation du marché de l’automobile | Investigations | – |
Akbar Tabari : Akbar Tabari était le directeur général des affaires économiques du pouvoir judiciaire lors de la présidence de l’ayatollah Shahroudi. Du temps de Sadegh Larijani il était le directeur exécutif du pouvoir judiciaire. Pourtant, sept jours après la nomination d’Ebrahim Raïssi, ce personnage clé du monde de la Justice était en garde à vue. Zakani, ancien député conservateur du Majlis avait qualifié Tabari comme « celui qui a rendu misérable deux chefs du pouvoir judicaire ». Aucune explication n’a été donnée pour l’instant au sujet de l’arrestation de l’« homme influent » du pouvoir judiciaire.
Bijan Ghasem-Zadeh : L’ancien enquêteur du bureau du procureur chargé de la culture et des médias, surnommé le « juge qui censure » a été arrêté le 1er octobre 2019. La plupart des journalistes gardent un mauvais souvenir de Ghasem-Zadeh car c’est lui qui est responsable de la censure et fermeture de nombreux journaux. Il est également connu pour avoir interdit l’accès à l’application Telegram en Iran. Le pouvoir judiciaire n’a pas encore donné de détails au sujet de son arrestation.
Babak Zanjani : Etayé par un dossier de 2000 pages, c’est l’une des affaires les plus médiatisées de l’histoire de la République islamique. Babak Zanjani est le propriétaire de la holding Tosse-e Sorinet-e Gheshm (secteur immobilier). Il est également l’actionnaire majoritaire de 64 entreprises en Iran et à l’étranger (immobilier, tourisme, aéronautique, pétrochimie etc.). L’homme d’affaire de 48 ans a été arrêté le 30 décembre 2013 et condamné à la peine de mort le 6 mars 2016 pour corruption, blanchiment d’argent et fraude fiscale. Zanjani est également condamné à rembourser une dette d’environ 2 milliards d’euros au ministère du pétrole. Malgré sa condamnation à la peine de mort, Zanjani n’a toujours pas réglé sa dette. Il est aujourd’hui en prison (Evin).
Procès de Babak Zanjani. Mizan News Agency
Mehdi Jahangiri : Frère du vice-président d’Hassan Rouhani, il est le fondateur de la banque Gardeshgari et vice-président de la chambre de commerce de Téhéran. Il est accusé de corruption dans le cadre d’ « affaires bancaires complexes ». Le dossier est toujours en cours d’investigation.
Hossein Fereydoun : Très influent au sein de la présidence de la République et ancien négociateur de l’accord sur le nucléaire, le frère du président Hassan Rouhani est condamné à cinq ans de prison pour avoir accepté des pots-de-vin d’une valeur totale d’environ 31 milliards de tomans.
Ahmad Araghchi : L’ancien directeur monétaire de la banque centrale a été arrêté le 5 août 2018 pour « perturbation du système monétaire du pays ». Il est le neveu d’Abbas Araghchi, directeur politique du ministère des affaires étrangères et membre de la délégation iranienne chargée des négociations nucléaires.
Hadi Razavi : Le gendre de l’actuel ministre du Travail est condamné à 20 ans de prison et 74 coups de fouet. Razavi est le directeur général du groupe économique Fatemi. Il a été arrêté suite aux révélations faites dans l’affaire de la banque Sarmayeh.
Procès de Hadi Razavi
Deux députés du Majlis, le directeur général d’Iran Khordro et trois fonctionnaires du Croissant-Rouge iranien se trouvent également en prison et attendent le début de leur procès.
Mais la lutte contre la corruption des hauts fonctionnaires n’est pas récente. Sous la présidence de Sadegh Larijani, trois vice-présidents de l’ancien Président de la République (Mahmoud Ahmadinejad) avaient déjà été condamnés à de longues peines de prison pour des affaires de fraude et de corruption.
Toutefois, de nombreux analystes estiment que le pouvoir judiciaire n’a pas la volonté ou les moyens de lutter massivement et structurellement contre la corruption des fonctionnaires du régime. Pour certains réformistes et proches du Président Rouhani, ces récentes arrestations sont avant tout une campagne de communication des conservateurs et d’Ebrahim Raïssi en vue des prochaines élections législatives, voire sur le long terme pour accéder ultérieurement à la Présidence de la République. De leur côté, les conservateurs prétendent que le gouvernement a souvent eu recours à des moyens de pression sur certains juges pour baisser les peines des proches du Président ou de ses ministres. Le gouvernement nie ces accusations et insiste sur le respect de la séparation des pouvoirs.
Cependant, en dépit de la multiplication des poursuites à l’encontre de hauts fonctionnaires pour des faits de corruption, des lignes rouges demeurent. Les institutions économiques liées au Guide de la Révolution ou aux gardiens n’ont quasiment jamais fait l’objet de contrôle. Cette ambiguïté met en cause la capacité des juges à lutter de manière effective contre la corruption endémique observée jusque dans les institutions les plus puissantes du pays.