En Iran, le contrôle de la liberté sur internet a rapidement évolué ces dernières années sous l’impulsion des pouvoirs publics. On remarque d’abord que la place de l’Iran dans le classement de Freedom House s’améliore passant du rang 89 en 2014 à celui de 87 en 2015-6 puis 85 en 2017-8, profitant probablement du durcissement de la situation dans d’autres pays pour apparaître proportionnellement plus libre dans sa gestion d’internet. En outre, ces deux dernières années des choix politiques ont influencé les performances, l’accès et les restrictions observées sur l’internet en Iran, impactant son rang aux niveaux régional et mondial.
Les principales améliorations apportées à la liberté d’internet durant la présidence d’Hassan Rouhani sont liées à une amélioration du système et du réseau par le ministère de l’Information, des Communications et de la Technologie. Depuis son élection à la présidence de la République islamique d’Iran, le développement du réseau est une des priorités de son mandat. Le budget du ministère de l’Information, des Communications et de la Technologie a atteint des records avec 4086 milliards de Tomans (973 millions de dollars) pour l’année suivante (12% de hausse malgré la forte récession qui touche l’Iran). Début octobre, Azari Jahromi, le ministre de l’ICT, a déclaré que 80% des infrastructures nécessaires pour le bon fonctionnement du réseau national d’information sont fait.
Ces améliorations sont nécessaires dans la mesure où le débit d’internet demeure relativement bas dans certaines régions en Iran, où la consommation d’internet est particulièrement basse comme dans les régions du Lorestân et Khorasan-e Shomali où elle n’est que de 35.36% et 32.41%. Ces chiffres font échos aux annonces publiques du gouvernement de rattacher plus de territoires ruraux ou isolés aux réseaux comme ce fut le cas durant la présentation du projet de budget de l’année 2020-2021 au Majlis (8 décembre). À cette occasion, le président Rohani a évoqué un « ordre » du Guide de la Révolution demandant au gouvernement de développer le réseau national d’information plus rapidement1https://www.irna.ir/news/83585294/. Dans le courant de la semaine, Ebrahim Raïssi, chef du pouvoir judiciaire, a également insisté sur la nécessité du développement du réseau.
Les investissements dans “le réseau national d’information” (SHOMA) ont grandement amélioré l’accès à internet, sa vitesse et cartographie. Il est important de noter que le réseau national d’information est présidé par le ministère de l’ICT et le Haut conseil du cyberespace. Ce Haut conseil est un organe créé par décret du Guide en février 2012 et dont les membres sont des personnalités politiques de premier rang2Autres membres : le président de la Radio-Télévision, le ministre des communications, le ministre de la culture, le ministres des sciences. avec parmi elles le président de la République (qui préside le Haut conseil), le président du Parlement, le chef du pouvoir judiciaire, le ministre des renseignements ou le chef d’état-major des gardiens de la Révolution.
Cette composition explique pourquoi la censure demeure très politisée ayant donné lieu à des restrictions importantes en 2017 et en 2019 au point culminant des manifestations antigouvernementales, lorsque le débit avait été très ralenti.
Haut conseil du cyberespace, Téhéran
L’utilisation d’internet et des récentes techniques qui lui sont liés, telles les applications mobiles, sont dorénavant un champ privilégié de l’infiltration du pouvoir politique par la surveillance des contenus.
Hassan Rouhani et ses soutiens réformateurs ont largement exploité Instagram et Telegram durant la campagne présidentielle de mai 2017. Toutefois ces deux applications subirent de nombreux blocages intempestifs. Ces mêmes applications ont fait l’objet de pressions pour désactiver ou supprimer du contenu jugé inapproprié.
À plusieurs reprises, Telegram et Instagram ont été bloqués par les autorités en réponse aux manifestations (2009, 2017, 2019). L’utilisation de ces applications par des groupes anti-régimes ainsi que la facilité de communication qu’elles offrent à leurs utilisateurs, et donc la forte capacité de mobilisation qu’elles génèrent, sont vues d’un mauvais œil par les autorités. C’est dans ce contexte que Telegram fut bloqué de façon permanente en avril à la demande du pouvoir judiciaire pour cause d’atteinte à la sécurité nationale (2017-2018).
En dépit des espoirs suscités par l’accord sur le nucléaire perçu à l’étranger comme devant favoriser le développement d’un climat plus souple sur internet et mettant un terme aux critiques « d’infiltrations étrangères », les autorités ont augmenté leur contrôle des réseaux sociaux et les attaques techniques contre les voix de l’opposition se sont multipliées.
La nouvelle régulation “Politique et action concernant les organisations des applications de messages et réseaux sociaux” entrée en vigueur en août 2017 vise les activités légales pour les applications de messagerie en ligne en Iran et formalise une demande antérieure ayant pour but de pousser les applications de messagerie étrangère à coopérer avec les autorités iraniennes pour obtenir une licence et déplacer leurs centres de traitement de données sur le territoire iranien.
Ce dernier point remonte à 2005 date de la création du « réseau national d’informations » qui devait répondre au besoin de l’Iran de soustraire ses données sensibles (banques, défense, centrales etc.) à des serveurs situés à l’étranger tout en créant en parallèle des applications nationales (des systèmes de messagerie et des moteurs de recherches iraniennes) afin d’atteindre une autosuffisance technologique sur le modèle de ce qui a été fait en Chine (Wechat )3Équivalent WhatsApp ou en Russie (Vkontakte )4Équivalent Facebook.
Alors que le cabinet du Président Rouhani est parvenu à protéger certaines applications mobiles contre la censure, il n’y a eu aucun changement légal concernant les restrictions visant internet, et certains utilisateurs continuent d’être condamnés à des peines de prison lourdes pour avoir tenu des propos politiques sur les réseaux sociaux. Une douzaine de personnes ont été arrêté et détenues pour des activités en ligne dont des administrateurs de réseaux sociaux dont six administrateurs de l’application Telegram alignée aux réformateurs et proches du président Rohani ont été condamnés à des peines allant de trois à quatre ans de prison ferme en août 2017.
Deuxième pays, après la Chine, le plus regardant sur la liberté d’internet, l’année 2019 voit le paysage numérique iranien s’assombrir. Cette dégradation, bien que réelle, doit toutefois être mise en perspective dans la mesure où seul 65 pays sont étudiés dans le dernier classement « Freedom on the net » de Freedom house. Des régimes beaucoup plus stricts au regard de la liberté sur internet ont été éludés (probablement faute d’accès aux données) comme le Turkménistan ou la Corée du Nord.
En 2019, les 57.3 millions d’internautes5selon Freedom House ont fait face à six des neuf moyens de contrôler la liberté d’internet, répertoriées par Freedom House à savoir :
Toutefois, depuis octobre 2019, peuvent également être ajoutées les « atteintes délibérées au fonctionnement du réseau » puisque l’internet iranien a subi une coupure d’ampleur inédite lors des manifestations de cet automne, coupant toute communication avec l’extérieur du pays. Cette réponse ciblée des autorités sous l’égide du Conseil de sécurité du pays lié au ministère de l’intérieur a été remarquée au niveau international pour son envergure et le niveau de contrôle technologique qu’il induit. Du fait de sa configuration possédant peu de points d’accès au réseau mondial, le réseau iranien est particulièrement bien vulnérable aux black-out.
Ces points d’entrée sont aux mains de trois opérateurs [IPM, ITC, TIC] contrôlés par l’État , pour lesquelles il est aisé de peser sur le raccordement au réseau mondial, sans toutefois que cela n’atteigne la qualité du réseau à l’intérieur du pays laissant supposer que le transfert des serveurs à l’intérieur du pays a été réalisé. Le réseau fonctionne ainsi en vase clos, protégé par des frontières virtuelles qui permettent à ceux qui les contrôles d’établir un espace de souveraineté numérique étanche et répondant à leurs besoins. Une démarche démentie en conseil des ministres par le président Hassan Rohani, ce dernier ayant rappelé que « le renforcement du réseau national d’informations ne veut pas dire qu’on va couper les liens avec l’internet international »7Mercredi 11 décembre, https://www.irna.ir/news/83590842/.
Les deux derniers moyens8Cités par Freedom House d’atteindre à la liberté d’internet sont d’ordre législatif. Si aucune loi renforçant la censure ou la surveillance n’a vu le jour pour l’instant, les évènements d’octobre ont toutefois été suivis de nombreux effets d’annonce en faveur de nouveaux investissements dans le « réseau national d’information ».
Dans la région MENA, l’Iran arrive dernier en 2019. Mais si cette position en bas de classement confirme des perspectives tendues pour l’internet iranien, il demeure qu’en comparaison des autres pays de la région c’est probablement le pays qui a perdu le moins de point dans le classement en comparaison de l ‘Égypte ou de la Syrie par exemple. Par ailleurs, les tensions géopolitiques dans la région se retrouvent sur l’internet avec l’apparition au Bahreïn de bots mobilisés dans des conversations en ligne à propos de l’Arabie Saoudite, du Yémen et de l’Iran dans le but de dénigrer les musulmans Chiites.
L’Iran s’inscrit également dans un espace régional plus large, celui de l’espace Caspien, où les perspectives pour 2019 étaient plus optimistes. Mais si à l’ouest, les pays du sud Caucase arrivent en tête des scores pour leur région (Géorgie, Arménie), à l’est, l’Asie centrale demeure une région exerçant un contrôle strict sur l’internet, mettant à mal les prévisions de 2018 en faveur d’un relâchement du contrôle (Ouzbékistan, Kazakhstan).