La mort du Général Qhassem Soleimani dans la nuit du 02 au 03 janvier a été largement commentée comme un tournant majeur dans l’escalade des tensions entre l’Iran et les États-Unis. Homme clé à la tête de la force Al-Qods, pivot de la politique d’influence et de voisinage de la république islamique, sa disparition superpose différents niveaux de lecture. Nous sommes d’abord face à la disparition d’un personnage influent et charismatique en Iran, mais c’est également l’assassinat d’un militaire de haut rang hors tant de guerre par une autre armée. Décryptage d’un assassinat.
La disparition violente de Qhassem Soleimani cristallise des positions qu’il semblait peu probable de voir harmoniser, il y a encore peu.
Au niveau national, en Iran, la mort du général Soleimani a fait l’objet d’un deuil national massivement suivi ce lundi 6 janvier avec un cortège de grande ampleur rassemblant des millions (5 millions à Téhéran et 2 millions à Mashhad) de personnes selon la télévision iranienne. Le deuil des Iraniens pour le général Soleimani contraste avec la baisse de popularité des Gardiens de la révolution exprimée lors des manifestations d’octobre 2019. Seule la mort d’une figure emblématique du prestige historique des Gardiens de la révolution auprès de la population iranienne, toute classe et milieu social confondu, pouvait générer un tel regain de cohésion nationale.
Malgré une division profonde en ce qui concerne les affaires domestiques, une grande partie de l’opinion publique iranienne réclame maintenant la vengeance du « martyre » Soleimani. La question qui se pose aujourd’hui est la nature et l’ampleur de la réaction (vengeance) iranienne et la réponse américaine à cette éventuelle action. Dans un tel contexte, l’invitation du ministre des affaires étrangères Zarif par le comité des affaires étrangères de la commission européenne ne devrait pas être perçue comme un signe fort en faveur d’une médiation européenne.
Hommage au général Soleimani, Mashhad, IRNA
La classe politique est également soudée par cette disparition, qualifiée d’assassinat, au-delà des bords politiques et des mouvances . En réponse, un projet de loi intitulé « vengeance dure » est actuellement en lecture au parlement. Les parlementaires souhaitent également augmenter de manière considérable le budget de la force Al-Qods. La probabilité d’un rapprochement diplomatique aboutissant à l’image d’Épinal d’un serrage de main entre Rouhani et Trump ne devrait pas pouvoir être envisagé avant longtemps. En effet, les réformistes et les partisans d’un dialogue entre Téhéran et les puissances occidentales se trouvent aujourd’hui dans une situation extrêmement délicate.
Personnalité importante au Moyen Orient, personnellement proche de plusieurs leaders chiite comme Hassan Nasrallah, le Gén. Soleimani était avant tout le fer de lance d’une politique d’influence dont la pérennité semble mise en cause par son décès et ce, de surcroit, dans un climat de défiance, notamment en Irak (territoire sur lequel il est décédé), vis-à-vis de l’influence iranienne. Les nombreuses condoléances officielles présentées à l’ayatollah Khamenei peuvent donc être perçues comme l’apparition sous-jacente d’un sentiment d’appartenance à une communauté d’intérêt commun. L’un d’entre eux pourraient être la structuration d’une politique ouvertement « anti-américaine». À ce titre, l’adoption d’un texte par le parlement irakien, demandant le départ de troupes étrangères du territoire irakien, vise en premier lieu la présence américaine sur le territoire. Celui-ci est corroboré par l’apparition dans certains médias d’une rhétorique hostile associant les Américains à des « occupants ».
Ces changements peuvent toutefois apparaître comme des détails d’ordre idéologique dans un climat dominé par des tensions qui allaient en croissant. Malgré son caractère spectaculaire et symbolique, la mort du général Soleimani ne devrait pas toutefois emporter de changements drastiques avec elle.
La force Al-Qods devrait continuer à mener la politique mise en place du temps de Soleimani. La détermination à faire de cette unité, une unité de projection, est réaffirmée par la présidence exceptionnelle du Guide au conseil de sécurité nationale, garant de continuité de la politique extérieure de IRGC.
De même l’influence iranienne ne rencontre pas plus d’obstacle pour le moment. Lors de l’adoption par le parlement irakien demandant le départ des forces armées étrangères de son territoire, l’abstention des parlementaires kurdes et sunnites pourtant ouvertement opposés à l’influence de l’Iran, laissent les coudées franches à l’Iran et à l’axe chiites. En définitive, s’il n’impacte pas directement les alliances régionales, le décès de Soleimani favorise surtout un regain de mobilisation des chiites et des milices armées apparentées.
Hommage au général Soleimani, université de Téhéran, IRNA
Enfin, en dépit de la propagande informationnelle des autorités iraniennes en faveur du retrait des Américains de la région faisant suite à « l’assassinat » de Soleimani, le départ de ces derniers est loin d’être acté.
Le décès du général Soleimani représente une étape supplémentaire dans une guerre symbolique enclenchée depuis plusieurs mois. Mais cette nouvelle modalité de conflit nous permet pour le moment seulement d’observer un changement de paradigme dans le discours politique plus que d’une réelle modification des forces en présence. Les réactions qui s’ensuivront seront diamétralement opposées : pour les Américains une telle action devra être suivie par des politiques plus retenues si ils souhaitent que ce « coup d’éclat » demeure en leur faveur. À l’inverse, pour les Iraniens, il peut être bénéfique d’exploiter l’émotion suscitée par la mort du général Soleimani, et à travers lui de mobiliser autour du cheval de bataille de l’influence américaine au Moyen Orient, avant que le climat général ne retombe.